Focus sur une Alysma est la rubrique qui permet d’avoir des nouvelles des anciennes du Lycée Sainte Marie de Cocody après leur passage au lycée. Des parcours inspirants et motivants.
Aujourd’hui Chrystel Zohi Ngambeket, Alysma 2004.
Ceux et celles qui lisent les chroniques africaines sous Facebook doivent certainement y avoir rencontrer la plume de Chrystel. En effet, elle tenait jusqu’à sous peu, une page intitulée « Mille mots un amour » où elle a publié plusieurs chroniques sur le pseudonyme de Sadjee. L’une de ses chroniques L’innocente, a rencontré un vif succès sur Facebook, si bien que Sadjee a décidé de sauter le pas en un faisant un roman, son premier.
Sadjee a accordé une interview au blog littéraire Afro Plumes que nous retranscrivons ici
1. Peux-tu te présenter en quelques phrases ?
Je suis née il y a 29 ans à Bouaké en Côte d’Ivoire de parents respectivement professeurs d’allemand et de Français. Je suis la troisième d’une fratrie de cinq. J’ai grandi et étudié en Côte d’Ivoire, que j’ai quitté pour le Cameroun après mon mariage en 2011. J’ai vécu à Douala pendant 18 mois, puis je me suis installée en France fin 2012. C’est à cette époque que j’ai commencé à écrire, il faut dire que j’ai toujours été une amoureuse de lecture. Je suis installée depuis peu à Londres.
2. Donc tu as commencé à écrire en 2012, pourquoi ?
Ca a été comme un déclic. Entre mes études et ma vie professionnelle, je ne lisais plus que rarement, ça a duré quelques années. Et puis un jour, j’ai acheté L’Autre Moitié du Soleil, de Chimamanda Ngozi Adichie, presque par hasard, après avoir lu un classement des auteurs Africains sur Slate Afrique. Cette lecture a été une énorme claque et une renaissance à la fois. Je me suis rappelée les heures que je passais , enfant, puis adolescente dans les bibliothèques ou enfermée dans une pièce avec un livre. Et comment dire… j’ai su que je voulais faire ça, écrire, faire ressentir aux gens ce que ce livre m’avait fait ressentir, même si je n’avais aucune idée de comment faire. J’ai plongé à l’aveuglette, et on va dire que je vais toujours à tâtons.
3. Et par quoi as-tu commencé? Qu’est-ce que tu écrivais ? Sur quel thème et pourquoi ?
J’ai commencé par écrire des nouvelles sur « 225nouvelles », un site d’écriture créé par Yehni Djidji, une jeune blogueuse et auteure Ivoirienne passionnée de lettres entre autres. Sur quels thèmes j’écrivais au début? Le charme des débuts, c’est que mes textes n’étaient pas prémédités. Je m’asseyais devant une feuille blanche et je me laissais guider. Alors selon mon humeur, le résultat pouvait donner un texte sur l’amour, ou sur la mort…Ou sur les deux. A côté de ça, je me suis mise à écrire des nouvelles historiques (sur l’apartheid en Afrique du Sud, ou sur les Amazones du Dahomey), ou sur des thèmes d’actualité (la discrimination des Albinos en Afrique de l’Est…). En gros, j’écrivais sur à peu près tout ce qui me passait par la tête. Et puis l’appétit venant en mangeant, la plateforme de nouvelles ne m’a plus suffi, et j’ai créé une page Facebook en Novembre 2012
4. C’est donc la genèse de la page « Mille mots un amour »? Peux-tu nous dire ce qu’elle t’a apporté ? Comment tu as vécu ton aventure sur facebook ?
Oui, au début c’était assez effrayant. Etant une personne pudique et introvertie, j’avais l’impression en publiant mes textes de me mettre à nu devant tous ces gens. Tous ces gens? A vrai dire, on n’était pas très nombreux sur la page au début, mon petit frère qui s’extasiait devant chaque texte, une ou deux amies. Et mon mari aussi, qui ne lisait pas, mais qui me répétait que « Savoir sans le faire savoir, c’était totalement inutile ». Je me rappelle que mon cœur battait la chamade à chaque commentaire, à chaque Jaime. J’ai donc persévéré et au final, on est monté à 100, à 1000 et à beaucoup plus. Qu’est-ce que l’aventure m’a apporté? Tellement de choses. Elle m’a permis de connaître plusieurs personnes, moi en premier. J’ai découvert par exemple que je ne savais vraiment dire les choses (que je voyais ou que je ressentais) qu’en les écrivant, j’ai aimé les critiques négatives qui m’ont aidé à progresser, positives qui ont eu l’effet de 10 Redbull, j’ai aimé me mettre au défi, lâcher du lest et laisser mon imagination voguer là où bon lui semblait, j’ai aimé les discussions à bâtons rompus parfois émouvantes ou drôles, j’ai aimé…Je continue ou je m’arrête là? Rires. Points négatifs? J’ai regretté qu’une journée ne fasse pas deux fois plus de temps, parce que oui, tout ça m’a pris énormément de temps. Pourtant, je ne regrette pas une seconde…
5. Parmi ces personnes que tu as connues, il y a une rencontre qui t’a marquée, qui a marqué la chronisphère* et qui marquera – on l’espère – le monde littéraire: celle de Elora Moussavou . Elle a donné naissance à la chronique puis au roman « L’innocente ». Tu peux nous dire quelques mots sur cette rencontre ?
Elora est une lectrice Gabonaise qui était assez active sur la page et qui me mettait la pression chaque fois que je mettais du temps à poster une suite, les histoires s’écrivant sous forme de série. Après avoir achevé ma deuxième chronique (comme on désigne les séries sur Facebook), j’envisageais de faire une pause avec l’écriture lorsqu’elle m’a contactée par message privé. Elle avait un carré noir en guise de photo de profil et la teneur de son message m’a confirmé qu’elle traversait une période difficile. Puisque mes lecteurs étaient encouragés à proposer leurs propres textes sur la page, elle m’a demandé si je pouvais poster une sorte d’oraison en hommage à une personne qui avait beaucoup compté à une période difficile de sa vie et qui venait de décéder. Le texte tenait sur 03 pages Word, je lui ai demandé si elle souhaitait qu’on le réécrive en détail, elle a approuvé l’idée, et 04 mois plus tard, on avait le premier jet de l’Innocente.
*chronisphère : terme inventé par les lecteurs pour désigner l’univers des chroniques publiées sur Facebook.
6. Pour tout ceux qui n’ont pas connu « L’ innocente » sous forme de chronique, tu peux résumer l’histoire ?
L’Innocente est l’histoire d’Elora, une fillette espiègle et naïve issue d’une famille de la classe moyenne au Gabon. Nous sommes dans les années 90, sa vie baigne dans un halo de douceur, rythmée par l’école, les jeux, les disputes avec sa sœur, Flavie, et les rêveries alimentées par les téléfilms brésiliens et les photoromans de sa mère qu’elle lit en cachette. Survient un drame familial qui vient bouleverser cet équilibre. Après, Elora doit se résigner à la séparation, séparation d’avec sa famille d’abord, mais aussi séparation d’avec elle-même, d’avec le monde tel que son esprit d’enfant le concevait jusqu’alors. Chez l’oncle où elle est envoyée, la vie prend un arrière-goût de violence et de sévices…Jusqu’à ce que la Providence place sur sa route des ‘anges gardiens’ d’un type particulier qui lui apprendront respectivement l’amitié, l’amour, et la révolte…L’Innocente aurait pu être le récit d’une enfance brisée, mais la force de l’héroïne, la densité des émotions, la fresque vivante et colorée de l’époque et la verve réaliste teintée de malice en font un ode d’espérance, le chant d’une femme condamnée par le destin, mais sauvée par l’Amour.
7. Pourquoi as-tu décidé de décliner cette chronique en roman. Qu’est-ce qui t’a motivée ?
L’expérience avec les lecteurs a été très forte, beaucoup plus que ce à quoi on s’attendait, Elora et moi. On se disait, ce n’est pas une histoire d’amour, ce n’est pas sûr que les gens adhèrent. Et pourtant, cette histoire est celle qui a obtenu, et de loin, l’audience la plus forte sur la page. Sans doute, le thème central a compté pour beaucoup dans ce plébiscite. Malheureusement, plusieurs personnes sur la page avaient subi ou côtoyé la maltraitance enfantine, et elles se sont identifiées à l’histoire. Par ailleurs, le personnage d’Elora était extrêmement attachant et touchant, et j’ai puisé dans mes souvenirs d’enfance pour peindre une fresque de l’enfance africaine. Je crois que tous ces éléments combinés ont contribué au succès de la chronique, et lorsque tout s’est achevé, on s’est dit avec Elora que cette histoire méritait une audience plus large que quelques centaines de personnes sur Facebook. On s’est mises au travail, pour réécrire le texte, et le résultat est là, un an plus tard.
8. Tu t’es donc lancée dans cette grande aventure qu’est la publication. Comment as-tu abordé la chose ? Ca a été dur ?
Je m’attendais à ce que ce soit compliqué, mais ça a été plutôt simple. J’avais une liste d’éditeurs potentiels, j’ai éliminé d’emblée l’option du compte d’auteur pour des raisons personnelles, et j’ai envoyé le manuscrit à La Doxa qui est une maison d’édition gabonaise installée en France. J’ai reçu un retour positif 03 mois après l’envoi du manuscrit.
9. Qu’est-ce que tu as éprouvé avant la sortie de ton un roman ? De l’angoisse, de la crainte, ou alors de l’excitation ? Quel était ton état d’esprit ? Est-ce qu’il a changé après la parution de ton livre ou il est resté le même ?
J’ai éprouvé beaucoup d’émotion et de gratitude. Et pour le moment, mon état d’esprit reste positif et optimiste, et il ne changera pas je crois, parce que ce livre est une victoire en soi. Le succès est une notion relative, la passion beaucoup moins
10. L’écriture prend donc une grande place dans ta vie. Est-ce qu’il est difficile de l’allier avec ta vie privée ?
Ce que j’aimerais, c’est que l’écriture fasse partie de ma vie, pas en tant qu »activité’ secondaire, mais qu’elle soit une partie de moi. Lâcheté ou pragmatisme, ce n’est pas le cas pour le moment malheureusement, et oui elle est très difficile à allier à mes occupations
11. Tu nous as parlé de Chimamanda Ngozi Adichie, lis-tu d’autres auteurs africains ?
Oui, j’en ai lu plusieurs, Chinua Achebe, Ferdinand Oyono, Ahmadou Kourouma, Camara Laye, Mariama Bâ, Fatou Keita, Yasmina Khadra…Bémol, je les ai lus très jeune, et j’ai dévoré plutôt que de savourer…Je devrais revisiter mes classiques. Plus récemment, j’ai éprouvé le besoin de connaître plus d’auteurs de l’Afrique anglophone, et j’ai découvert avec plaisir Sefi Atta, Dinaw Mengestu, Ama Atta Aido ou Buchi Emecheta.
12. C’est que tu lis beaucoup ! Tu peux me dire ce que t’inspire la littérature africaine ?
Beaucoup de migraines. Rires. Plus sérieusement, tout dépend de quelle littérature, une grande partie de la littérature africaine aborde le thème de l’identité avec toutes ses nuances, et si je peux me permettre, dissèque méticuleusement notre schizophrénie collective issue de notre histoire commune, et forcément, c’est dense et ça fait réfléchir. Trop réfléchir parfois. A part ça, j’aime la façon qu’ont les Africains de revisiter la langue française, et l’intensité des goûts, des odeurs, des saveurs, des douleurs, des joies et des malheurs décrits.
13. Si on revenait un peu sur tes écrits, au delà du roman, on fait comment pour te lire ?
J’ai posté plusieurs nouvelles courtes et chroniques sur la page « Mille mots, un amour », et en dehors de ça, je poste des nouvelles inédites sur la page promotionnelle du livre, « L’innocente – LE LIVRE »
Sinon le livre est très bien aussi. Rires!
14. Il doit y avoir pleins d’histoires. Laquelle as-tu le plus aimé écrire et pourquoi ?
La réponse bien bateau et pourtant vraie : toutes mes histoires sont comme mes bébés, je les aime toutes autant. Si, c’est vrai. Rires. Par contre, il m’est arrivé une fois d’écrire une histoire où je me suis vraiment challengée tant au niveau du style d’écriture que du thème, et c’était une expérience à la fois effrayante et fabuleuse.
15. Donc ma prochaine question sera un peu compliquée: parmi toutes tes histoires laquelle tu proposerais aux lecteurs d’Afro Plumes ?
Journal d’un cœur rebelle, les lecteurs avaient bien aimé.
16. Merci pour cette recommandation. L’interview touche à sa fin et la parole, ou plutôt le clavier, est à toi pour la clôturer en nous disant par exemple ce que l’on pourrait te souhaiter pour la suite.
Je vous remercie pour le temps que vous consacrez à la promotion de la jeune littérature Africaine. Il y a énormément de talents cachés qu’il faut mettre en lumière, et votre initiative est plus que bienvenue. Pour la suite, j’espère écrire davantage et qui sait, un jour, vivre de cet art, au sens propre comme figuré. Merci à vous, et à tous ceux qui liront cette interview.
Source: Afro Plumes
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Fière de toi